" Ousmane, j’aurais mieux fait de me taire !…" – 48 –

« Allo Ousmane ? Non, ne raccroche pas. Je vois, les nouvelles vont vite ici. J’ai mis en cause tes petits voisins africains, je ne sais même pas s’ils sont africains ou d’origine africaine. Je n’aurai pas dû. « Tu aurais mieux fait de te taire », va s’en doute me murmurer ma Larca.Mais j’étais chez mon ami Olmert qui m’a littéralement sommé de déclarer antisémite l’agression dont a été victime ce jeune juif un peu turbulent. J’ai pris peur. Si j’avais dit: « attendons les conclusions du juge d’instruction », je risquais l’incident diplomatique. Pire, on m’aurait peut-être expulsé, moi, l’ami indéfectible de la politique sécuritaire d’Israël.
Mais on oubliera vite tout ça. D’ailleurs, ma presse française et mes politiciens de tous bords, mes notables qui voient de l’antisémitisme partout, sont autant coupables que moi, non ? On va aussi, j’espère, pardonner aux jeunes Noirs, interpelés et cuisinés depuis deux jours par mes policiers pour en faire des coupables, et qui finalement ne le seraient pas.
J’ai d’autres soucis en tête. Des gens qui, autour de moi, confondent vitesse et précipitation. C’est le cas de ce type, ah! un polytechnicien ,qui distribue l’argent de la Sécurité sociale. Il a décidé, tout seul dans son coin, qu’il fallait réduire les remboursements de frais médicaux. Notamment, ceux des gens très longtemps malades. On appelle ça, des « longues maladies ». C’est souvent vers la vieillesse que cela se passe.
Un tollé en France . Tollé, tu connais? Sinon…bref, je ne te répète pas ce que tu dois faire dans ce cas. On va m’accuser d’euthanasie par incidence. Incidence, incidence, ouais… Forcément, si on meurt plus tôt par manque de soin, on fait des économies. Ce type qui me fait du tort, il faudrait qu’on le vire. Une priorité, comme la création d’un Etat palestinien. Je vois clair dans sa manoeuvre. Il pense déjà au renouvellement de son mandat de directeur général.Il fait du zèle! Il veut du « retour sur investissement », voilà un vrai homme d’affaire. Il m’en faudrait beaucoup comme lui, mais plus discrets.
Ousmane, je suis désolé pour ton peuple qui n’a pas ce genre de problème de vieillissement incontrôlé. J’en parlerai à ton papa le président Déby à Paris le 13 ou 14 juillet prochain.C’est dommage que tu ne puisses pas venir avec lui! Je vais quand même voir avec mon collaborateur Boutefeux. Mes policiers iraient te chercher et te reconduiraient. Naturellement -et ce n’est utile de m’interrompre- on ne te mettra pas dans une prison, un centre de rétention, comme nous disons ici.
A Vincennes, ce n’aurait pas été possible. Mais je ne t’apprends rien, je vois. Tu grandis vite! Une sale affaire que cet incendie. Que doivent penser les Européens? Tous ces Européens auxquels je vais donner des ordres – et des contre-ordres, je plaisante! – dans quelques semaines? Qui m’ont fait un cadeau en votant mes propositions sur l’immigration, les expulsions de sans-papier. Et qui craignent maintenant que ça mette le bordel -euh, excuse ma grossièreté- le bordel chez eux.
Ousmane, avec ma Larca, j’ai prié à Bethléem, chez les chrétiens de Palestine, pour la paix. Aujourd’hui encore, des terroristes palestiniens ont osé répondre à l’assassinat de deux des leurs,par l’armée israélienne quelques heures plus tôt. Sans tuer personne, d’ailleurs, ce qui démontre leur incapacité à gouverner demain. Un jour, tu viendras aussi prier à Bethléem, d’un côté et de l’autre du mur. En attendant prie pour moi et pour ce jeune soldat israélien qui s’est donné la mort, à quelques mètres de moi. Je ne sais pas pourquoi, quelle idée ! Ne fais jamais ça, Ousmane !.. »

Riendetout, 24 juin 2008.

"Ousmane, Bruxelles, je suis dans les choux !" – 47 –

« Allo, Ousmane? Mes amis européens me mettent à rude épreuve. Ils s’énervent car je leur balance plein d’idées nouvelles. Et, faisant comme si j’étais déjà à la tête de l’Union européenne, je les sens méfiants. Pourtant, j’ai le vent favorable. Mon Collaborateur Boutefeux leur a bien vendu mon plan pour contrôler l’immigration et les sans-papiers. Mais ils le regrettent peut-être, car il y a une véritable levée de bouclier chez mes amis latinos. Oui, ceux qui habitent de l’autre côté de l’Atlantique.
Ils prétendent, ces Indiens mapuches et quechuas, qu’ils n’ont jamais contrôlé l’immigration des Européens qui ont colonisé leurs pays. Forcément, ils n’étaient pas les plus forts avec leurs flèches empoisonnées !
Alors, ils se disent ce type-là va nous créer des ennuis pendant six mois, il faut qu’on le mette au pas. Ils se trompent, je suis guidé par une force surnaturelle, je me sens invulnérable ! C’est sans doute le dieu que nous prions ensemble, mon Ousmane bien aimé, qui me guide. Et l’américain Bush l’a bien compris, lui qui s’estime inspiré par le ciel, en m’encensant la semaine dernière à Paris.
Ousmane, fais attention! Ces Latinos qui nous font la leçon, poussent les Africains à se joindre à eux. Un scandale, que cet Hugo, qui n’a jamais été mon ami. Bien qu’il m’ait aidé à retrouver mon Ingrid, que j’attends toujours avec impatience. Il nous menace de couper l’arrivée du pétrole. Mais qu’il le garde, son pétrole! On a le nucléaire et le sous-sol de ton pays. De ton pays et de plusieurs autres pays africains qui ont besoin de l’Union européenne, surtout de la France. Et surtout de moi-même, je le dis en conscience, en toute modestie. D’ailleurs, j’avais mis à la porte mon collaborateur qui souhaitait faire de l’Afrique un paradis humanitaire. Un socialiste naïf et inutile, dont les socialistes d’ailleurs ne voulaient plus.
Ousmane, reste bien à l’écoute. J’ai besoin de t’entendre respirer. Je sais, ton papa le président Déby a des ennuis avec ses rebelles habituels. Mais mon bon docteur lui a fait savoir qu’il pouvait compter sur l’appui que mes soldats apporteront toujours. Toujours, sous couvert européen, aux mercenaires français qu’il a recrutés. Mais c’est du malheur pour toi, je crains. Aussi, je vais poursuivre mon aide humanitaire en galettes de maïs. Je l’ai promis à l’ONU, l’autre jour, à Rome. Benoît 16, mon pape, était, m’a-t-on dit, content. Tant mieux, il avait encore en travers de l’estomac, le baiser de Bigard, mon sexologue préféré.
Samedi, c’est la fête. Je connais la musique. Il y en aura partout, y compris, j’espère, dans ton village. Moi, j’ai convoqué quelques musiciens à l’Elysée. Ma Larca a fait de même, j’espère. Ceux qui l’ont aidé à réaliser ses chansons. Je lui ai dit de t’envoyer un CD en avant-première, c’est-à-dire avant tout le monde. As-tu du matériel pour l’écouter?… Oui?…
Bon, mais il faut qu’on se couche de bonne heure. Je pars dimanche pour deux jours en Israël. Mon ami Olmert multiplie les efforts pour sauver son poste de Premier ministre. Il fait semblant de négocier la paix avec les terroristes palestiniens et syriens. Pour gagner du temps, car il pense surtout à un coup d’éclat contre les Iraniens. Je dois voir tout ça de très près. Il faut que je sois à la hauteur des louanges de mon ami Bush. Mon ami Bush, à qui j’ai remis les clés de mon armée, mais qu’il n’aura pas le temps d’utiliser. Il ne pense plus qu’au golf. A ton avis, combien de terrains de golf au Tchad? Ah! tu ne sais pas. Attention, je veux des résultats, Ousmane.
Bonne nuit. Tu verras mes performances à la télé. Tous mes journalistes seront à Jérusalem. Et je compte bien sur Pépédéa pour faire le maximum. Mes amis milliardaires qui contrôlent sa chaine comptent là-dessus également. Il leur doit bien ça, trente ans au « 20 heures » ! Jamais je n’arriverai à rester aussi longtemps à Versailles ! Je plaisante, on ne pourra faire que dix ans , avec ma nouvelle Constitution. Bien qu’on peut toujours tout changer! Et j’aime le changement, la rupture! « …

Riendetout, 20 juin 2008.

" Ousmane, pov’ Irlandais ! " – 46 –

« Allo Ousmane? De pov’ types que ces Irlandais. Ils ont dit « non » à mon Europe simplifiée. C »était pourtant simple, j’ai besoin d’eux pour exercer mon mandat de Président européen, le mois prochain. Imagine, quatre millions d’individus qui en bloquent quatre cent millions !
Ousmane, je suis lerco, comme dirait ma collaboratrice Fadela. Et je dis que les Anglais n’auraient jamais dû céder , ne serait-ce qu’un mètre-carré, de leur colonie irlandaise au siècle dernier. Ces Irlandais sont incorrigibles. D’ailleurs, mon collaborateur Laporte, qui s’occupe de rugby, m’avait dit de me méfier…
J’avais aussi prévenu mes amis milliardaires anglo-saxons. Je les ai mis en garde, comme d’ailleurs mes patrons français de multinationales: « il faut distribuer un peu de votre richesse aux pauvres et aux chômeurs irlandais. Et surtout, donner un peu plus à ceux qui travaillent plus, qui ont des résultats ».
C’est ainsi. Je crois que je n’ai pas fait d’erreur, moi.Pas de repentance. Mais à ton avis, où je vais maintenant ? Eh bien je le déclare haut et fort, à la face du monde: je continue ma route. Les nonistes…Les nonistes? oui, ce sont ceux qui, en Europe, votent « non » à ma constitution simplifiée, ne m’auront pas. Je les détruirai , comme ton papa Déby va détruire les terroristes qui marchent vers ta capitale. Je l’y aiderai, bien qu’il me boude, peut-être à cause des millions d’euros des Zozoés… Bon, je le jure: jamais ses ennemis n’auront N’djamena. J’ai mes soldats sur place pour empêcher cela. Et j’espère bien que les quelques centaines de soldats irlandais, qui sont aussi sur place seront, cette fois-ci, à mes côtés. Ils me le doivent bien !
Ousmane, le malheur va encore te tomber sur la tête et mes envois de galettes pour calmer ta faim ne feront pas obstacle à ce malheur. J’en ai parlé à mon ami Bush. Mais il est sur son petit nuage de fin de mandat. Il papillonne et, je te l’ai dit, il ne pense plus qu’au golfe et à ses chevaux. Je crois qu’il se rappelle à peine de ce qu’il a fait depuis huit ans à la tête des Etats-Unis. Sait-il qu’il mène la guerre en Irak, en Afghanistan ? Qu’il est le plus gros pollueur par habitant? Et ainsi de suite, l’amnésie, l’amnésie…Demande à ton instituteur quand tu le verras, ce que ce mot veut dire. Nous, les hommes politiques au pouvoir, on l’utilise beaucoup , l’amnésie. Sinon, on se flingrait plusieurs fois par jour !
Ousmane, notre maman commune, ma Larca va boucler son disque. Enfin, c’est fait, me dit-on. C’est un souci majeur pour moi, en ce moment, car elle va chanter des choses qui dérangent. Non, c’est pas subversif, non, très fleur bleue. Fleur bleue, fleur bleue…très gentil, je veux dire. Je vais lui demander d’ajouter une autre chanson qui vante les mérites de mon Europe simplifiée. Je suis persuadé que les Irlandais et beaucoup de « nonistes » n’y résisteront pas !
Mon ami Bush. Il y a des gens dans mon entourage, estimant qu’il veut faire de moi son héritier. Que je suis le plus solide, comparé au vieux Berlusconi, à Brown qu’il n’aime pas beaucoup, à Merkel, une femme venue de l’Est…Qui sait, peut-être une espionne à la solde de Poutine. Donc, disent-ils, il y a « vous », il y a « toi », c’est selon la profondeur de notre amitié. Alors, je devrais prendre en main toutes les merdes qu’il nous lègue, pour les poursuivre. J’y pense sérieusement, surtout si je rate ma présidence à la tête de l’Europe à cause de ses maudits pov’ Irlandais.
Oui, je sais bien, toi aussi tu est pauvre, mais ce n’est pas pareil!
Ousmane, il faut que je me détende un peu. Mon château est trop petit. Ah, j’envie les grands espaces désertiques, à la sortie de ton village. Tu ne sais pas la chance que tu as, d’être un vrai pauvre! Je me calme en y pensant. Ah! voilà Larca. Elle va sans doute me chantonner une berceuse où elle parle de toutes ces drogues qui font rêver! Et enfin, je vais m’endormir, comme toi. Comme toi, en priant…pour que Bush me file vraiment les clés du royaume. Il le faut!.  »

Riendetout, 14 juin 2008

Paysans-ouvriers… (intermède de Mai)

« LES PAYSANS DANS LA LUTTE DES CLASSES » Bernard Lambert, Editions du Seuil, coll. P.Politique, 1970.

Lors du blog du 13 mai dernier, un paragraphe a sauté.( Ah! les 13 Mai…)
Le voici, restauré, dans sa première partie:

« CONCLUSION (page 186)
Un mot enfin: plusieurs lecteurs, et notamment parmi les paysans, auront peut-être réagi à l’emploi d’un vocabulaire inhabituel – socialisme,prolétariat, lutte de classes, bourgeoisie, etc. Le fait, d’autre part, que la violence soit considérée comme un moyen légitime de lutte a pu en heurter bon nombre.
Ce langage a été employé très intentionnellement: les paysans entrent dans un nouvel univers technico-économique. Ils y rencontreront plus précisément les forces capitalistes avec leur violence institutionnelle et légalisée à l’égard des producteurs.(…) »

La suite, sans changement.

On en profite, sans déplaisir, pour reprendre quelques phrases de la préface consacrée au livre par Michel Rocard, à l’époque secrétaire national du PSU (Parti socialiste unifié)et qui était sous… la « pression » d’un parti devenu, depuis deux ans, très révolutionnaire !
On connait la suite carriériste de Michel Rocard, passé au Parti socialiste en 1973, avec une minorité d’adhérents.
« (…)
Je ne pense pas que Lambert ait beaucoup lu Karl Marx, qui ne fait guère partie des références utilisées par les différents organismes où il a poursuivi sa formation. Mais il est frappant de voir à quel point une analyse rigoureuse et sans faiblesse, ne fuyant pas la dureté de la lutte des classes, amène un militant expérimenté à retrouver spontanément les méthodes d’analyse et les formes de raisonnement qui demeurent un des outils essentiels du mouvement ouvrier.
Au moment où tant d’hommes s’interrogent, où tant d’intellectuels posent à propos du marxisme des questions d’une subtilité qui n’a plus de rapports avec la réalité, le fait qu’un militant paysan s’exprime dans les formes les plus claires, mais non les plus classiques, du marxisme, sans y faire le moins du monde référence, et pour cause, ce fait a valeur d’une prodigieuse vérification expérimentale.
(…) »

Riendetout, 13 juin 2008.

"Ousmane, j’ai de nouveaux sous pour toi ! " – 45 –

« Allo Ousmane, fait chaud au Tchad ? Ici, c’est pas terrible, on n’a pas la même chance que toi. Ousmane, j’ai une bonne nouvelle. Je vais pouvoir améliorer mon contingent de galettes pour toi, grâce à l’augmentation de revenus que je viens de m’octroyer. Voilà, plutôt que de demander à mon bon docteur humanitaire de le faire, avec l’argent de l’Etat, je paierai les galettes avec mes sous. Je veux donner l’exemple, après une médiocre réunion à Rome, sur la faim, chez mes amis Berlusconi et Benoît 16, qui n’y sont pour rien d’ailleurs. Et où, une nouvelle fois, on ne m’a pas compris.
Je m’occupe beaucoup des pauvres en ce moment. Des pauvres, des handicapés, des vieux qui vont mourir. C’est ma Larca qui m’y pousse. Elle a ainsi, par moi, un réservoir d’idées pour écrire ses chansons. Elle n’est pas très favorable à ce que j’expédie en Italie la terroriste Pétrella. Non, non, elle n’est pas terroriste, mais elle craint que cette extradition soit d’un mauvais effet chez ses amis italiens.
Ousmane, il faut que mon ami Déby, un peu bougon à mon égard en ce moment, pousse son ami Khadafi à venir à Paris le mois prochain. Pour quoi faire? M’aider à mettre en route mon Union pour la Méditerranée. J’ai besoin de quelques Africains, car les Européens boudent mon projet. Bien sûr, on te le rappellera, je serai à la tête de l’Europe dès la fin du mois. Mais, à Bruxelles, ce n’est pas comme à Paris où je fais ce que je veux. Ici, je suis le roi. C’est ce que tout le monde dit.
Ousmane, des galettes je vais en fourguer également à mon nouvel ami Kharzaï, l’Afghan. Je viens juste de le promettre à la réunion d’aujourd’hui, jeudi. Il aura tout, des galettes… et des soldats pour sa défense. Et oui, j’ai rejoint le groupe des gens qui se battent là-bas pour la liberté, sous le drapeau de mon ami Bush que je vais serrer dans mes bras dès demain. On ira d’ailleurs à Chantilly faire un petit tour au golf. Oui, il ne pense plus qu’au golf. Il finira chez les anges, le pauvre homme que des méchants traitent de criminel de guerre. Il en est, de ces méchants, qui se cachent à N’djamena, près de chez toi, je le sais.
L’Afghanistan, j’y reviens, même si cela ne t’intéresse pas. Tu n’étais pas né en 1968, année funeste. J’ai lu le bouquin de mon papa Edouard.
sur la tentative de coup d’Etat contre de Gaulle. Et le Premier ministre de l’époque, pendant que mes policiers d’alors se battaient courageusement contre les hordes d’enragés, lui, Georges, faisait du tourisme en Afghanistan. Quelle désinvolture, quelle inconscience! Moi, si ça m’arrivait, je ne laisserais pas sortir mon Premier ministre. Car il servirait enfin à quelque chose, en me servant de rempart.
Ousmane, il faut que je secoue à nouveau mes troupes. Elles mollissent, je le sens. Mes collaborateurs s’agitent beaucoup pour convaincre mes compatriotes -oui,oui, les Français- de travailler davantage sans rien réclamer. Ils ne comprennent toujours pas qu’il doivent tout partager avec les pauvres de la planète, dont toi. Mais que pour organiser cela, il faut des chefs d’entreprises milliardaires, avec beaucoup de complices grâcement payés. Ousmane, le travail n’est toujours pas libre. Un carcan l’enferme. Carcan?… Demande à ton instituteur quand tu le verras. Je veux que les travailleurs de chez moi soient libres et autonomes. Qu’ils acceptent des offres raisonnables d’emplois. Je vais être sans doute obligé de créer un syndicat, car ceux qui existent se plaignent toujours de se faire piéger. C’est pas possible de continuer ainsi. Ah, ton chef-papa Déby a de la chance, loin de ce problème!
Ousmane, j’espère que tu ne rêvasses pas le matin. Allez, au boulot! Il faut que l’Afrique rejoigne le 21 ème siècle. Je l’y aiderai, sûr ! Mais modestement, comme le recommande mon très agité docteur. Qui me conseille de remplacer à Bruxelles les limousines noires par des vélos. Il m’amuse, c’est un K!… »

Riendetout, 12 juin 2008.

"Ousmane, tu seras un salarié autonome !…" -44 –

« Allo Ousmane? Oui, mon fils, tu seras un jour un salarié autonome. Je vais t’émanciper, comme je vais émanciper des millions de mes Français.J’ai inventé un truc, c’est nouveau et ça va clouer le bec à tous les marxistes. Tu ne connais pas de marxistes autour de toi? Etonnant, mais tu es bien trop jeune.
En fait, c’est mon collaborateur , le petit Bertrand, très intelligemment, qui a révélé ce projet de « salarié autonome ». On va le mettre dans la nouvelle loi. Voilà du moderne et encore une belle réforme. Abolition du salariat, fondu dans l’autonomie: tous les penseurs, Edgar Morin compris qui continue à me bouder, vont se jeter là-dessus, un os or!
De l’or; je vais ramener d’Athènes, ou de Beyrouth, deux ou trois bracelets de ce métal que j’adore. Pour ma Larca. Je vais pouvoir faire cet achat car , pour ce qui est de mon voyage samedi à Beyrouth, on va partager les frais avec les grands chefs politiques. Oui, oui, il y aura, avec moi dans l’avion, et tout et tout, les chefs de la Gauche. Ah, je fais des émules, jalousie ou pas, c’est égal, moi , je suis resté un grand jaloux qui décide de tout!
Partout où je vais, je propose une alliance. J’en aurai passé près d’une trentaine quand je m’installerai sur le trône de l’Europe Unie, dans quelques semaines, à Bruxelles. D’ailleurs, j’y inviterai ton papa, s’il se manifeste enfin. Je verrai ainsi défiler devant moi, moi toujours modeste, un grand peuple européen et chrétien de trois cent millions d’individus.
Ousmane, je ne suis pas du tout content de la discussion romaine sur la faim dans le monde. Pas content, parce que je sais que tu ne manges pas toujours bien, malgré les galettes que t’ont remis mes soldats.Je vais faire un don, pour l’exemple. C’est mon business, mon Union pour la Méditerranée qui va gérer tout cet argent . Mais tu le sais, je n’ai pas beaucoup de sous et je n’ose pas en réclamer à mes amis milliardaires.Je dois protéger tout le monde.Le pétrole qui monte, qui monte. Les immigrés qui débarquent sans papier et qu’il nous faut enfermer et expulser, nous coûtent cher, très cher. Toi, je m’occuperai de tes papiers, quand tu auras ton diplôme de géomètre.
J’apprends que l’ONU est chez toi, pour réconcilier mon ami Déby avec le chef du Soudan. A cause du Darfour, bien sûr! C’est un Français à moi qui mène la délégation. Je crois que c’est mon bon docteur humanitaire qui a organisé tout cela. Il voudrait tant laisser son nom un peu partout! Car il y a beaucoup de déchet dans ses voyages que lui payent la République. Je ne parle pas seulement de mon amie Ingrid de Colombie. Nul au Liban, nul à Jérusalem. D’ailleurs, les Africains vont m’obliger à aller voir mes amis Israéliens. Il faut leur dire que, s’ils veulent être acceptés dans l’Union pour la Méditerranée, il doivent annoncer, pour la énième fois je sais, l’évacuation des territoires occupés en Palestine. Qu’ils tuent plus discrètement les Palestiniens terroristes et n’annoncent plus les centaines de logements qu’ils veulent construire un peu partout en Palestine. Bon, ce sera comme d’habitude, du banal, tout juste pour appuyer mon ami Bush qui sera à Paris, dans mes domaines républicains, la semaine prochaine, mais qui est déjà ailleurs. Il ne se souvient plus qu’il mène la guerre en Irak!. Bon, je plaisante. Je vais quand même essayer de vendre quelques avions de combat Rafales à ces Israéliens pour plus d’efficacité s’ils se lancent à l’attaque de l’Iran.
Ousmane, tu regardes la télé? Tu as vu Monfils, oui, le tennisman? Tu vas voir Thierry Henry, et d’autres footballeurs. Sais-tu qu’ils viennent -leurs parents, naturellement- des petites colonies qu’il me reste. Ah, si la France avait encore son empire colonial, on serait les meilleurs dans tous les sports. Mais je l’ai proclamé à Dakar, pas de regret, tant pis !
Ousmane, j’ai pensé à toi, jeudi. J’étais dans une petite ville française, avec des collégiens comme toi. Je veux aimer tous les collégiens du monde. Il y avait dans le grand silence organisé par ma police, des petits oiseaux qui chantonnaient, chantonnaient. Tu as de la chance, toi, tu les entends, j’en suis convaincu, tous les matins et tous les soirs.
Bonne nuit et n’oublie pas ta prière. »

Riendetout, 6 juin 2008.

" Mai 68 ou le cinéma…" -4- (Intermède de Mai)

(Voir blogs précédents sur le sujet)

« (…)
Une mise en suspens du cinéma.
« On arrête tout et on réfléchit ». Cela concerne aussi cet art du mouvement qu’est le cinéma. Si certains films font de ce mot de désordre une assez plate utilisation scénariste (par exemple « L’an OI » de Jacques Doillon, 1972), quelques rares cinéastes, dont Jean-Luc Godard le prennent au pied de la lettre. Il est devenu impossible de pratiquer, et dans les mêmes conditions, le même cinéma qu’avant.
Commencé avant Mai 68, terminé après, « Le gai savoir » est traversé de part en part par l’appel insistant du hors champ. Mais ce n’est pas l’imaginaire que le hors champ convoque. Le plus important, et au moment même où le film se fait, se passe dans la réalité hors cinéma. Le cadre délimite et fixe des lieux de rencontre, de réunion, de discussion et d’échange, qui sont tous des lieux de passage. On vient de quelque part et on va vers quelque part. On entre et on sort du champ, on se lance des adresses.Interpellation violente et continue par la réalité extérieure au film, servie par le jeu abrupt de Jean-Pierre Léaud.
Alors, pourquoi continuer à faire du cinéma? Pour inscrire sur l’écran-tableau noir des images et des sons prélevés sur le monde, les mettre en relation, y réfléchir. Pour s’exercer à pense et à penser pour l’action. Pour construire une pensée cinématographique en acte.
(…) ».

NB – « Le gai savoir », de Jean-Luc Godard, a été produit puis…refusé par l’ORTF (Radiodiffusion-télévision française d’Etat).

Riendetout, 3 juin 2008.

"Mai 68 ou le cinéma…" -3- (Intermède de Mai)

(voir blogs précédents)

« (…)
Cinélutte, un certain cinéma « militant ».
Pendant et après mai 68, une orientation domine dans les pratiques cinématographiques qui se veulent « militantes »: filmer les luttes. Pendant le mois de mai, l’activité des Etats généraux du cinéma, fondés au milieu de ce mois par des membres de la profession, se partage entre des discussions pour réformer l’industrie et la réalisation de films sur les évènements (en fait souvent réduite à la prise de vue de matériel non-monté).
Reconduite très largement après mai, cette orientation n’est pas née en 1968. Elle a fleuri autour de chaque grande période de luttes (les films du PCF réalisés avant 1968 n’échappent pas, le plus souvent, à cette règle). Néanmoins c’est bien cette démarche qui domine dans le cinéma dit « militant » après 1968.
Le collectif le plus représentatif en est peut-être Cinélutte, dont certains films sont encore périodiquement diffusés (notamment, par la Vidéothèque de Paris, ou lors des Etats généraux du film documentaire à Lussas en 1997…).
On peut relever dans la démarche de ce collectif -et de quelques autres du même type- quelques aspects positifs. En premier lieu, le fait que Cinélutte prenait en charge la diffusion de ses films pour leur permettre d’exister hors des circuits de l’industrie cinématographique. Ce qui pouvait lui garantir une certaine indépendance politique. »
(…)
———-
(…)
Le cinéma « militant » n’existe pas. En tout cas, pas si on le conçoit comme un cinéma s’opposant à un autre qui, bien entendu, ne serait pas « militant ». Cinéma militant: la formule est insuffisante dans la mesure où tout cinéma l’est. Reste à savoir: militant pour ou contre quoi.(…) »
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« Mai 68 ou le cinéma en suspens ». David Faroult, Géard Leblanc.
Festival Résistance et Editions Syllepse, 1998.

Riendetout, 1er juin 2008.