« Allo, Ousmane ? J’en ai marre, marre et marre ! je vais demander à mon ami Déby de me recevoir durablement dans ton beau pays, le Tchad. Il me doit bien ça. Oui, j’émigre…C’est déjà fait dans ma tête. Larca me déconseille l’Italie. Pourtant, mon ami Berlusconi est prêt à m’accueillir. Il y aura de la place en Italie, il va virer beaucoup de monde, alors que mon collaborateur Boutefeu peine à le faire en France. Boutefeu recherche le travail bien propre, sans d’ailleurs y parvenir!
Je ne sais pas pourquoi je te dis tout ça. La déprime, à nouveau sans doute. Voilà que mes propres députés, que j’ai fait élire, refusent maintenant que je leur parle directement, simplement, quand bon me semblera – il s’agit d’un projet – à l’Assemblée nationale. Un comble! Mon ami Déby ne tolérerait pas de tels moeurs, j’en suis sûr. Il aurait raison!
Ousmane, je suis encombré de cancres. J’en ai un, Borsalinoo, qui a été incapable de rameuter mes députés pour voter une loi sur les OGM. Demande à ton instituteur si mon ami Déby autorise les OGM. On avait trouvé une formule qui disait ni oui, ni non à ce mode de culture . Mais que faisait Borsalinoo, ces jours-ci, au lieu de me défendre? Il menaçait les alcolos au volant. On appelle ça un éthylotest, une forme de contrôle qu’il veut soudain rendre obligatoire. La belle affaire! J’espère que toi, au moins, tu ne bois pas. Pas d’alcool de riz, juré?
Ousmane, j’ai en face de moi un Indien, un Mapuche ou un Quechua, je ne me souviens plus. Il dirige un petit pays qu’il faudra que je visite un jour, l’Equateur. Il veut faire la révolution et tout redistribuer à ses braves compatriotes indiens… d’Amérique, je précise. Moi, je lui ai rappelé qu’il y avait plus urgent: m’aider à libérer mon Ingrid, dont je t’ai dit qu’elle se morfondait au fond de la jungle colombienne. Il peut m’aider car il est très remonté contre les militaires colombiens qui sont venus buter leurs rebelles, sur son sol! Lui et son pote vénézuelien, qui révolutionne déjà son pays, doivent m’aider. Je suis prêt à monter incognito dans leur avion pour aller chercher mon Ingrid. Mais, chut !…
Mon bon Docteur, lors de cette expédition? Non. Pour l’instant, il fait dans l’humanitaire, Birmanie, Chine. Il remplit des avions pour les malheureux sinistrés de ces pays. Mais il est trop vieux maintenant pour porter les sacs de riz. A la rigueur, des valises de vêtements. Non, il peaufine mon arrivée à la tête de l’Europe, à la fin du mois prochain. Il vend mon projet d’Union pour la Méditerranée. Un grand barrage contre les gens qui ont faim, pour les habituer à se prendre en main. Par exemple, en se levant tôt le matin. Tu n’oublies pas de te lever, j’espère?…Bon, il regarde où je pourrai installer cette Union. Tunis, Le Caire, Alger, Rabat. Et…N’djamena. Je l’ai déjà imaginé. Et ce sera plus facile, si j’émigre durablement chez mon ami Déby. Est-ce que j’ai l’air de plaisanter?
Ousmane, je pense bien à toi, à tous les bonbons que je t’ai promis. Mais je peux faire mieux. J’avais décidé, il y a longtemps, quand j’étais le patron du département le plus riche de France, de venir en aide au lycée d’Iriba. Tu connais Iriba? C’est près de la frontière soudanaise, à deux pas du Darfour. Puis, j’ai oublié, pris par tant de choses à faire. Cette fois-ci, c’est décidé, je vais m’occuper du lycée d’Iriba. Audacieux, très risqué, en ce moment. Mais j’ai beaucoup de mercenaires sur place pour me protéger. Ousmane, je te conduirai moi-même à ce grand lycée qui portera peut-être mon nom, à la rentrée prochaine. Si, en attendant, tu travailles bien et que tu pries Dieu. Plutôt le mien, mais tu es libre! »
Riendetout, 14 mai 2008.